Draghi : L’équilibre budgétaire passe exclusivement par des réductions de dépenses

C'est anti-social, l'Europe ?

Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, a été appelé dans le magazine Foreign Policy « L’homme ennuyeux le plus important du monde ». En effet, dans le contexte actuel de crise financière et budgétaire, la BCE est peut-être l’institution la plus puissante d’Europe. Son refus d’acheter la dette italienne l’an passé, malgré le fait que cette dette diminuait rapidement que toutes les autres dans la zone euro, a provoqué la chute de Silvio Berlusconi et l’ascension de Mario Monti avec son programme de réformes libérales, sans devoir se donner la peine de gagner une élection. C’est la BCE seule qui a décidé de faire presque 500 milliards d’euros de prêts à trois ans à taux bas aux banques européennes pour calmer les marchés financiés.

Ces choses peuvent être bonnes ou mauvaises, mais il n’y a aucun moyen officiel-légal-ou-démocratique pour influencer ces décisions incroyablement importantes, qui peuvent renforcer ou détruire un gouvernement, prévenir ou provoquer une récession, et donner des sommes inconcevablement énormes d’argent gratuite aux banques (mais pas aux gouvernements). Ces décisions sont prises seules par le Conseil des gouverneurs de « l’indépendante » BCE, qui est composé de divers bureaucrates de Francfort et d’anciens employés de Goldman Sachs, répondant seulement à leur conscience.

Ceci étant, les préférences idéologiques, les préjugés et les mots de Mario Draghi et des autres hauts-fonctionnaires de la BCE sont extrêmement importants, même si la plupart des citoyens Européens, même au sein de la zone euro, les ignorent complètement (voire n’en ont jamais entendu parlés). Les investisseurs et les publications financières au contraire savent qu’il vaut mieux écouter très attentivement à leurs déclarations d’oracle.

Voilà ce que Mario Draghi a dit dans un entretien illuminant avec le Wall Street Journal (exclusivement disponible en anglais sur le site de la BCE, alors que l’Ireland et le Malte sont les seules pays anglophones de la zone euro…) lorsqu’on lui a demandé à propos des mesures d’austérité en Grèce malgré les « conditions voisines de dépression » :

Ceci est en faite une question générale sur l’Europe. Y-a-t’il une alternative à la consolidation budgétaire ? Dans notre dispositif institutionnel les niveaux de dette-au-PIB étaient excessifs. Il n’y avait pas d’alternative à la consolidation budgétaire, et nous ne devrions pas nier que cela est contractionnaire […] à court-terme. Dans le futur il y aura le soi-disant canal de confiance, qui réactivera la croissance ; mais ce n’est pas quelque chose qui arrive immédiatement, et c’est pourquoi les réformes structurelles sont si importantes, parce que la contraction à court-terme sera suivie par une croissance à long-terme durable seulement si ces réformes sont en place.

À première lecture, Draghi semble suggérer qu’il y a quelque chose de spécifiquement européen à propos d’un ratio de dette-au-PIB élevé. C’est faux. La dette moyenne brute des pays de l’UE est de 82,2 % et de 87,4 % pour la zone euro (les chiffres les plus récents). Comme le WSJ le rapporte dans un autre article, les chiffres équivalents sont 107 % de dette-au-PIB pour les États-Unis et un faramineux 230 % pour le Japon. L’Italie, de loin en pire situations des grandes économies de la zone euro, ne semble pas si mauvaise avec ses 128 %. Notons aussi que la dette de la zone euro était en train de diminuer l’année passée jusqu’à ce que la mauvaise gestion de la crise par la BCE et le Conseil européen ait provoqué la récession à double creux (double-dip recession).

Draghi a raison lorsqu’il dit que le « dispositif institutionnel » – l’architecture disfonctionnelle de la zone euro d’aujourd’hui – veut dire qu’elle ne peut gérer même un niveau de dette sensiblement plus bas que ceux d’autres pays développés. Une solution serait de changer ce dispositif, mais pour Draghi il n’y a tout simplement pas d’alternative (un type d’argumentation bien connu sous son sigle anglais « TINA »)  aux réductions de dépenses. Il ne peut suggérer des réformes, en partie parce que c’est incompatible avec son poste, en partie parce que cela voudrait dire reconnaître le rôle de la BCE dans la récession et les perspectives fiscales en détérioration de l’Europe.

Si les Européens souffrent plus et doivent consolider avant les autres – même si leurs dettes sont plus petites ! – c’est parce que leur banque centrale ne peut ou ne veut pas agir comme la fait la Banque du Japon, la Banque d’Angleterre ou la Réserve fédérale américaine en achetant systématiquement la dette publique. C’est aussi pourquoi ces pays peuvent emprunter à des taux très bas sur les marchés financiers malgré leurs perspectives fiscales comparables-voir-pires (et non tout ce blah blah sur la compétitivité, la paresse des Méditerranéens, le gaspillage des systèmes sociaux européen, etc).

Deuxièmement, cet entretien est terrifiant dans la mesure que Draghi ne voit aucune différence entre la Grèce et le reste de l’Europe sur ce sujet. Les manifestations de solidarité « Nous sommes touts Grecs » ont complètement raison sur ce point car, pour la BCE au moins, le reste de l’euro zone va souffrir le même sort. Ceci est mis en évidence par la réponse de Draghi sur comment atteindre l’équilibre budgétaire, où il décrit « une bonne contre une mauvaise consolidation budgétaire » :

Dans le contexte européen les niveaux d’impôts sont élevés et les dépenses de l’État sont focalisées sur les dépenses courantes. Une « bonne » consolidation est une où les impôts sont plus bas et les dépenses publiques plus basses sont sur les infrastructures et d’autres investissements.

Pour Draghi, l’équilibration budgétaire doit passer exclusivement par des réductions de dépenses sur des services publics « gaspilleurs » comme les pensions, la santé, les allocations chômages ou l’éducation (qui forment l’écrasante majorité des dépenses de l’État national). Il n’est pas complètement clair s’il soutient des réductions d’impôts, mais ce n’est qu’un pas logique de l’interprétation plus généreuse de son commentaire.

Notons qu’il n’y a pas de corrélation forte – dans un sens ou dans un autre – entre de bas impôts, la croissance et l’équilibre budgétaire. Néanmoins, il se trouve que dans l’UE-15 les pays avec les plus petites dettes sont aussi ceux avec le plus d’impôts (Danemark, Finlande, Suède…).

Si l’on exclut comme le fait Draghi les modèles scandinaves et considérons exclusivement une baisse d’impôts, cela entend une réduction massive des dépenses et services publics. Comme le remarque le « FactBlog » de le OCDE, ces services réduisent de moitié la pauvreté en Europe. Cette réduction interviendrait aussi au moment où, comme le montre une étude de l’Organisation Internationale du Travail, l’inégalité au travail et de revenue ainsi que précarité ont crû de manière dramatique en Europe à cause de la récession et de l’austérité. En bref, Draghi demande des réductions massives aux budgets des politiques publiques au moment même que celles-ci sont le plus nécessaires.

Lorsqu’il a été demandé si cela voudrait dire la fin du modèle social européen, Draghi a répondu : « Le modèle social européen déjà n’existe plus ». Une raison comme une autre pour démanteler et arrêter de financer se qu’il en reste.

La BCE n’est pas une institution « neutre » ou « apolitique ». Les positions que Draghi exprime sont intensément hostiles à la pensée de centre-gauche en Europe et plus généralement aux grandes réalisations socio-chrétien-démocratiques de l’après guerre. L’institution est peut-être dans son rôle lorsqu’elle demande la responsabilité fiscale de la part des membres de la zone euro, mais elle ne peut pas légitimement dicter comment ces membres doivent l’atteindre.

Le candidat socialiste à la présidentielle française François Hollande a dit qu’il veut lancer un « débat » sur le rôle de la BCE. Étant donné que les traités européens sont quasiment immuable lorsqu’un grand pays s’y oppose – voir l’opposition française à un siège unique pour le Parlement européen même si cela veut dire un gaspillage de 200 million d’euros par an – nous pouvons être pessimistes sur toutes perspectives de réforme. Les chances que l’Allemagne permettent des changements aux règles de Maastricht sont infimes, même si celles-ci dévastent les économies de la périphérie, la démocratie-sociale, voire l’idéal européen lui-même. Néanmoins, si nous pouvions avoir les débuts d’un débat pour remettre en cause le creux, insipide et en fin de compte catastrophique « consensus » sur la gouvernance de la zone euro, ce serait déjà quelque chose.

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